Limiter la responsabilité des hôpitaux : la démarche qualité est la meilleure des préventions !

La réparation du préjudice des accidents médicaux consiste le plus souvent en une réparation pécuniaire. Il est alors important de vérifier si les dysfonctionnements, notés par la HAS, que subirait un patient peuvent être une source d’indemnisation. En effet, si la cause du préjudice subi par le patient fait partie des recommandations énoncées par le rapport de certification, cela renforcera les chances pour la victime d’obtenir gain de cause.

Pour mémoire rappelons la nécessité de l’existence cumulative d’un fait générateur, la faute, puis d’un lien de causalité et enfin d’un préjudice est indispensable. Le patient doit donc prouver le préjudice et le lien de causalité, faute de quoi, il n’y aura pas de réparation.

Il a été longtemps affirmé que la personnalité morale est une « fiction juridique » qui n’aurait pas de volonté propre et ne saurait commettre personnellement de faute. Si infraction il y a, il conviendrait alors de sanctionner ceux qui se trouvent à la tête de l’entité. Toutefois cette approche n’est pas totalement exacte dans la mesure où les décisions sont prises le plus souvent par les organes sociaux. La personne morale a une volonté collective propre, née de la rencontre de volontés individuelles mais pouvant différer de la volonté de chacun des membres du groupement. En effet, qu’il s’agisse d’un hôpital ou d’une clinique, le seul directeur ne détient pas tous les pouvoirs.

La responsabilité administrative des établissements de santé publics

La loi du 4 mars 2002 énonce que la responsabilité des établissements de santé ne peut être engagée qu’en cas de faute. Cette faute n’est pas qualifiée. Le législateur consacre ainsi l’évolution de la jurisprudence relative à la responsabilité des établissements publics de santé. Le juge administratif avait en effet admis qu’une simple faute pouvait donner lieu à réparation, sans qu’il y ait lieu de démontrer le caractère de particulière gravité de cette faute (disparition de la faute lourde), faisant perdre ainsi son intérêt à la distinction entre la faute « administrative » et la faute « médicale ».

L’abandon de la faute lourde par le Juge administratif

En effet, depuis un arrêt du 10 avril 1992, le Conseil d’Etat a abandonné la notion de faute lourde pour retenir un concept de faute médicale de nature à engager même si elle est simple la responsabilité de l’hôpital.

Au sein des établissements publics, les problèmes qui peuvent découler concernent souvent le délai d’intervention des équipes soignantes et l’insuffisance des moyens. Le principe qui prévaut jusqu’à présent est celui de la faute simple dans les établissements publics. Même les services des interventions d’urgence sont soumis à ce régime.

Ces décisions s’inscrivent dans une politique d’indemnisation des personnes du fait d’une activité publique. L’établissement verra sa responsabilité engagée sauf à prouver son insuffisance de moyens humains et matériels. Dans ce cas précis la responsabilité de l’ARS pourrait être engagée. Le juge administratif ne considère plus la faute comme un élément indispensable de la reconnaissance de la responsabilité d’un établissement de santé. Même si ce dernier a respecté des normes légales, réglementaires ou professionnelles, des circulaires, des références et procédures d’organisation, un usager peut quand même engager sa responsabilité.

Les responsables d’établissements doivent prendre conscience que la certification permet de mieux gérer le risque de mise en cause de la responsabilité de leurs structures. Le juge administratif peut utiliser un deuxième fondement juridique : celui de la présomption de faute. La procédure de certification est un instrument de transparence. Cette exigence a pour but de renforcer les droits des patients. Depuis peu, ces derniers sont en droit d’attendre une obligation de sécurité à la charge de l’établissement.
Nous nous trouvons donc en présence d’une « responsabilité objective ». Comme le précise Jean-Christophe Duchon-Doris « dans la responsabilité hospitalière on ne juge pas l’homme mais l’hôpital, qui a une responsabilité supérieure car il est garant de l’intérêt public ».

La preuve de la faute simple

Un patient peut obtenir la sanction d’un hôpital devant le juge administratif, en apportant la démonstration de la faute simple commise par l’établissement. Les juridictions administratives ont sanctionné plusieurs types de fautes administratives dont trois nous intéressent pour cet article :

  1. La première concerne les carences des services administratifs pour laquelle le Conseil d’Etat a sanctionné le dommage qui résultait d’une faute simple commise à l’occasion d’activités administratives non médicales d’un hôpital qui peut être condamné, par exemple, pour avoir omis de transmettre des informations au médecin traitant d’un patient.
  2. La seconde porte sur la mauvaise organisation et les défauts de fonctionnement. Les fautes simples commises dans l’organisation ou le fonctionnement des services d’un hôpital sont également sanctionnées par le juge administratif. Ainsi, le défaut de surveillance des malades, y compris ceux hospitalisés dans des services psychiatriques sera sanctionné et donnera lieu à réparations, à moins que l’hôpital n’apporte la preuve qu’il avait pris toutes les précautions nécessaires. Depuis 1988, le juge administratif utilise la formule suivante : « les troubles constatés révèlent un fonctionnement défectueux de l’hôpital ».
  3. La troisième concerne le manque de moyens des services. En application de l’article L. 6113-1 CSP, « afin de dispenser des soins de qualité, les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de disposer des moyens adéquats et de procéder à l’évaluation de leur qualité ». De ce fait, chaque type d’établissement doit se doter de l’organisation nécessaire en matériel et en personnel pour être en mesure d’accueillir le type et le nombre de patients de leur catégorie. La loi leur impose ainsi de disposer des moyens adéquats et de procéder à l’évaluation de leur activité. Cependant, il est important de relever que jusqu’à présent, aucun texte réglementaire n’a défini, pour les services hospitaliers publics des normes d’organisation en matériel ou en personnel. La dotation des services dépend des initiatives et des décisions des instances hospitalières locales, à partir d’un plan directeur et de décisions de la CME. Il peut donc exister des disparités entre les hôpitaux de même catégorie, certains services étant plus développés ou plus équipés en raison d’une équipe plus motivée ou selon un besoin local plus important. L’absence de normes pour l’organisation matérielle du personnel et du plateau technique à l’hôpital public amène le juge administratif et les experts à évaluer le fonctionnement défectueux du service par rapport aux moyens dont dispose l’hôpital au moment des faits sans pouvoir rechercher, en l’absence de cadre réglementaire, si la carence du dispositif ou son inadaptation du fait de la vétusté ou du manque de matériel a pu être préjudiciable à l’usager. En l’absence de qualification d’une faute médicale, les tribunaux administratifs retiennent la responsabilité de l’administration hospitalière dans le but de favoriser l’indemnisation de l’usager qui peut rencontrer des difficultés majeures pour apporter la preuve d’une faute médicale. C’est pourquoi celle-ci peut être déqualifiée : le juge bien qu’il s’agisse d’une activité médicale, retiendra une faute d’organisation ou de fonctionnement du service notamment quand un acte médical est effectué par un praticien non-médecin. Toutefois, selon la jurisprudence, la responsabilité d’un hôpital ne peut être appréciée que compte tenu des moyens techniques et du personnel médical dont il dispose. Par conséquent, un établissement de santé dans l’incapacité de faire face à un incident imprévu et grave mais qui utilise avec diligence tous les moyens matériels et humains dont il disposait, ne sera pas jugé responsable du dommage subi par un patient dans de telles circonstances.

La question se pose alors de savoir : comment le juge apprécie l’écart entre le bon comportement et celui responsable d’une faute de service ? D’après la doctrine, le juge va évaluer en fonction de quatre standards :

  1. Tout d’abord les circonstances de temps et de lieu, ou les circonstances de l’espèce, notamment la notion d’urgence.
  2. Puis les difficultés réelles rencontrées dans l’accomplissement du service compte tenu des moyens concrets dont il disposait pour les exécuter et la prévisibilité de l’accident ou de la survenue des complications.
  3. Ensuite, par le comportement de la victime à l’égard du service lors du dommage.
  4. Enfin, peuvent constituer des fautes de services, le manquement aux obligations du service par :
  • Action,
  • Abstention,
  • Agissement volontaire,
  • Imprudence ou maladresse,
  • Défaut de surveillance et de contrôles,
  • Retards,
  • Négligences,
  • Défaut d’organisation,
  • Défaillance de fonctionnement.

La classique obligation de moyens tend à devenir une obligation de sécurité-résultat.

L’admission de la faute par imprudence

Pour empêcher les mises en causes abusives, une loi du 13 mai 1996 a inscrit le principe d’appréciation in concreto de la faute par imprudence. Le juge s’attache à vérifier que le directeur accomplisse « les diligences normales » au regard des circonstances, « compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Désormais, même en cas de violation d’une réglementation préexistante, il est possible de débattre de la réalité de la faute au regard des circonstances. Cela s’applique aux délits d’homicide, ou de blessures involontaires, ou de tout autre délit non intentionnel.

Le juge prend donc en considération les particularités de la fonction publique. Parmi celles-ci, il peut notamment retenir la maitrise incomplète des moyens financiers qui conduit à définir des priorités et l’obligation d’assurer la continuité du service public. Pour autant, le directeur de l’hôpital mis en cause ne doit pas se contenter d’avancer l’absence de moyens. Afin d’exonérer sa responsabilité, l’établissement doit démontrer qu’il a informé son autorité de tutelle et l’administration centrale des risques que créait une telle situation et qu’il a tout fait pour obtenir des marges de manœuvre supplémentaires. Ce n’est qu’à cette seule condition qu’il pourra efficacement plaider « l’excuse budgétaire » devant le juge. Celle-ci ne peut être admise dès lors que le responsable qui envisage de s’en prévaloir aurait pu opérer un redéploiement des crédits.

En revanche, il y a lieu de se demander si un patient ne pourrait pas engager la responsabilité d’une ARS dont le directeur aurait été informé par la HAS dans sa mission d’évaluation des « bonnes pratiques cliniques et des résultats des différents services et activités de l’établissement hospitalier », des dangers que faisait naître le manque de moyens du service qui a commis le dommage.

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