La gestion des risques en établissements de santé : savez-vous différencier les risques acceptables des risques inacceptables ?

La gestion des risques associe la notion de risque au terme de vulnérabilité. Néanmoins, quelle qu’en soit la définition, elle est toujours associée aux notions de probabilité, dommages, événements indésirables ou redoutés, gravité. Le risque est la probabilité de l’apparition d’un dommage résultant d’une exposition à un danger ou à un phénomène dangereux.

Le mot risque recouvre couramment des significations différentes. II est approché différemment selon les domaines et les spécialités. Ainsi, il revêt une signification différente pour l’épidémiologiste, le spécialiste de l’environnement, l’assureur, l’ingénieur, le soignant ou le cadre de direction.

La définition retenue par la HAS est la suivante : il s’agit d’une « situation non souhaitée ayant des conséquences négatives résultant de la survenue d’un ou plusieurs événements dont l’occurrence est incertaine. Tout événement redouté qui réduit l’espérance de gain ou d’efficacité dans une activité humaine » est un risque.

Le risque est présent dans toute activité humaine, mais deux aspects sont à souligner : la prise de risque est liée à la recherche d’un bénéfice dans l’activité réalisée (Le traitement d’une appendicite par appendicectomie permet d’éviter l’évolution vers la péritonite et le décès mais nécessite la prise d’un risque chirurgical et anesthésique), aussi, la prise de risque peut-être une condition de la performance. Dans tous les domaines, prendre des risques peut permettre d’augmenter la performance9.

En santé, la recherche d’un bénéfice à long terme rend souvent nécessaire une prise de risque à court terme. Pour gérer les risques, il faut essayer de différencier les prises de risques volontaires et involontaires :

  • La prise volontaire d’un risque existe en santé pour traiter un patient ou augmenter la performance du traitement.
  • La prise involontaire d’un risque correspond aussi aux expositions à des risques inconnus ou imprévisibles.

La gestion des risques suppose de les répertorier en distinguant du risque subi, la prise volontaire de risque. La perception du risque et son acceptabilité par le patient, désormais mieux informé et plus exigeant en matière de qualité et sécurité des soins, se sont modifiées ces dernières années.

Les établissements sont également confrontés à une augmentation des contentieux, à des évolutions assurantielles et à une pression médiatique, lors de la survenue d’accidents médicaux graves notamment. Ils doivent pouvoir démontrer qu’ils se sont organisés pour prévenir les risques dans la mesure du possible.

Or, seule une approche transversale, coordonnée et pluridisciplinaire de la gestion des risques permet d’appréhender les risques de façon globale. Cette approche, à la faveur de la certification se développe dans les établissements. Elle exige de l’ensemble des acteurs hospitaliers des changements importants et durables sous-tendus par l’acquisition d’une culture commune de vigilance et de sécurité. Il s’agit de définir avant la mise en œuvre du dispositif de prévention et de gestion des risques, la notion de seuil d’acceptabilité, à l’aide de critères précis.

Est considéré par exemple comme risque inacceptable :

  • Erreur de patient, (défauts accumulés dans le recueil et la transmission des informations),
  • Erreur de côté lors d’une intervention,
  • Brûlure par dispositif médical électrique (manque de formation, non-respect du protocole, défaut de maintenance, mauvaise évaluation de la vulnérabilité du patient),
  • Erreurs de pratique (absence de prescription, erreur d’administration d’un traitement),
  • Chute consécutive à une négligence (bébé laissé seul sans surveillance sur une table à langer),

tout risque susceptible d’entraîner un préjudice majeur, alors que la prévention est possible et réellement efficace dès lors qu’elle est organisée et effective. L’objectif de la prévention et gestion des risques est donc d’éradiquer ces risques inacceptables.

Le risque acceptable est un risque soumis aux aléas, comme par exemple :

  • Chute d’un patient difficile à protéger du fait de ses troubles du comportement,
  • Réaction mortelle à un traitement ou à une anesthésie alors que l’aptitude du patient à le supporter était parfaitement évaluée et que le traitement a été fait dans les règles de l’art,
  • Erreur de diagnostic sur une échographie réalisée dans le respect des bonnes pratiques.

Cette notion d’acceptable exclue l’erreur de jugement sur l’état d’un patient à un moment donné. L’objectif de la gestion des risques est de les réduire le plus possible. Ce n’est pas seulement une donnée objective. Dès lors, l’acceptabilité du risque n’est pas uniforme.

Notons tout d’abord que l’acceptabilité par la société du risque est peu corrélée à l’intensité du risque : les accidents de la route, les accidents domestiques ou les accidents du travail font beaucoup plus de victimes que les catastrophes aériennes, industrielles, chimiques ou nucléaires. Les premiers sont en revanche bien mieux acceptés.

Actuellement, « la perception du risque se caractérise à la fois par une sensibilité exacerbée et par une apparente irrationalité. Ainsi un risque est davantage acceptable lorsqu’il est choisi et non subi, et surtout quand l’individu a le sentiment de pouvoir y échapper, en mettant en œuvre un mécanisme de dénégation qui s’appuie sur l’affirmation d’une capacité individuelle à maîtriser ce risque » précisait déjà à l’époque l’ANESM.

Il est anecdotique de constater que bien que la mortalité liée à des risques subis n’ait jamais été aussi faible, notre société est perçue comme plus dangereuse que les précédentes. Cette perception se traduit par une demande d’efforts supplémentaires pour réduire les risques. Le sentiment d’insécurité apparaît supérieur à la réalité des menaces.

L’exigence de sécurité des patients est également de plus en plus élevée, par exemple, l’exigence de disposer de moyens de prise en charge qui doivent être à la fois « de pointe » et « de proximité ».

Nous observons ensuite « l’obligation de moyens » qui se transforme peu à peu en « obligation de résultat ». L’acceptabilité est particulièrement réduite et la pression du public et des médias forte (sang contaminé, encéphalopathie spongiforme bovine, infections nosocomiales, etc.). Cette pression entraîne légitimement une réaction des acteurs politiques qui engagent des actions réglementaires, techniques et organisationnelles.

L’acceptabilité du risque technique par le corps médical et soignant nous amène à l’idée d’un risque calculé sur des bases techniques et scientifiques en fonction d’un rapport bénéfices/risques pour le patient. Elle repose sur la prise en compte des données actuelles de la science pour chaque cas. Elle suppose in fine la maîtrise par les professionnels des moyens adaptés à la réalisation de ce choix thérapeutique dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité.

Vient enfin, l’acceptabilité du risque par le patient qui est directement concerné et qui en connaîtra les conséquences bonnes ou mauvaises. L’évolution récente de la réglementation a rappelé la nécessité d’informer de manière approfondie le patient, en l’avisant notamment des bénéfices et des risques des différentes possibilités de prise en charge. En effet, un arrêt de la cour de Cassation du 25 février 1997 institue le transfert de la charge de la preuve particulièrement important, en ce qui concerne l’obligation d’information du médecin. Ramenés à l’essentiel, les faits sont relativement simples :

  • A l’occasion d’une coloscopie avec ablation d’un polype, un patient subit une perforation intestinale.
  • Il se prévaut notamment de ce que le médecin ne l’avait pas informé du risque de perforation pouvant survenir à l’occasion d’une telle intervention.
  • La Cour d’appel – se conformant à une jurisprudence constante – le débouta de ses demandes au motif qu’il ne rapportait pas la preuve de ce que le praticien ne l’avait pas informé du risque encouru.
  • Le patient se pourvut alors en cassation. La décision pose le problème de la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information du médecin.
  • L’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article 1315 du Code civil.
  • La Cour de cassation pose d’abord dans un chapeau un principe général : « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation », estimant que le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information.
  • Ainsi le patient peut participer activement aux choix diagnostiques et thérapeutiques qui le concerne et donner son consentement libre et éclairé.

L’information objective et complète du patient et sa participation à la prise de risque font partie de la gestion de l’acceptabilité du risque. Dans le secteur de la santé, elle suppose la prise en compte de ces trois niveaux d’acceptabilité par la société, par les professionnels, et par les patients.

Dans le domaine de la santé, ne pas prendre de risque conduit à ne pas soigner avec, paradoxalement, un risque supérieur pour le patient. La démarche de gestion des risques vise à concilier la prise de risque avec la maîtrise des dangers qui l’accompagnent et donc à rendre le risque acceptable. Elle recherche un équilibre entre le bénéfice attendu et le risque accepté. Trop peu de risques acceptés ou trop de risques acceptés sont susceptibles de menacer la qualité des résultats.

La démarche de gestion des risques repose sur la connaissance de ces derniers, puis l’élimination de certains risques, et enfin sur la prévention et la protection lors la prise en charge du patient. La sécurité dans les établissements de santé n’est ni l’absence de risque, ni même la réduction complète de la prise de risque. La sécurité maximale est recherchée par l’identification et le traitement des risques. Cette démarche de gestion des risques permet de rendre le risque résiduel acceptable.

« La gestion des risques est rendue indispensable par la complexité des systèmes de production dont les défaillances peuvent être de deux ordres :  celles dues à des erreurs actives et celles provenant des caractéristiques du système ». affirme James Reason.  En général les deux se cumulent pour aboutir à un accident. L’évolution de la gestion des risques est due à l’accroissement d’activités complexes et génératrices de risques d’atteinte aux personnes, à l’environnement, ou mettant en jeu la pérennité de l’établissement concerné.

On peut fixer différents objectifs à la gestion des risques selon le contexte et le domaine d’activité :

  • La sécurité des personnes,
  • La sécurité financière et la pérennité de l’établissement,
  • La préservation de l’image et de la réputation de l’établissement,
  • La sécurité juridique,
  • L’assurabilité, c’est-à-dire la possibilité de contracter une assurance à un coût raisonnable.

La problématique de la gestion des risques en établissement de santé est celle d’un secteur confronté à des risques pour la sécurité des personnes même si un enjeu financier existe (efficience, rentabilité, réduction des pertes financières, assurabilité). La démarche repose sur une dimension managériale et une dimension technique.

Elle comporte trois mécanismes qui doivent être construits et coordonnés :

  • L’identification passe généralement par ce que l’on appelle une cartographie des risques
  • L’analyse des risques permet d’approfondir la connaissance de ceux identifiés, et d’en déterminer les « causes racines ».
  • Le traitement des risques repose sur la combinaison de trois mécanismes : prévention, récupération, atténuation ou protection.

La prévention et la récupération, qui consiste à éviter les répercussions d’une erreur déjà produite, doivent être traitées ensemble. Elles visent à réduire la fréquence du risque. Elles peuvent consister soit en la suppression du risque à la source, soit en la construction de barrières préventives. La protection permet de réduire les conséquences d’un risque déjà réalisé. Il s’agit notamment de prévoir les conduites à tenir en cas de survenue de l’événement.

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