Comment limiter la responsabilité pénale des établissements de santé : respecter les procédures…
Et si le non-respect des procédures qui organisent la prise en charge du patient avait des conséquences plus graves que ce que vous imaginez ?
La plus remarquable des innovations introduites par le Code pénal fût la responsabilité pénale des personnes morales effective dans les faits depuis le 31 décembre 2005.
Cependant attention, elle n’exclut pas celle des personnes physiques auteures ou complices des mêmes faits…
La nécessité d’une faute ayant entraîné un préjudice pour engager l’action pénale
« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre »[1]. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements, sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure.
Les dirigeants et les préposés, auteurs indirects d’un dommage à autrui, ne sont pénalement responsables que des fautes caractérisées. Lorsqu’une personne est l’auteur indirect d’un dommage causé à autrui, elle ne peut voir sa responsabilité pénale engagée que si elle a commis une faute d’une certaine gravité (qualifiée par la loi de délibérée ou de caractérisée) supposant dans tous les cas chez la personne responsable une conscience plus ou moins grande du risque auquel son comportement fautif exposait autrui.
La caractérisation de la faute de mise en danger délibérée exigera l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, et la démonstration que la personne qui connaissait cette obligation, a de façon manifestement délibérée choisi de ne pas respecter.
Est-ce qu’un établissement de santé parfaitement informé des recommandations, ou obligation d’amélioration qui le touche suite à sa visite de certification HAS, et qui ne prendrait pas séance tenante, par le biais de son représentant légal, toutes les mesures pour supprimer ces recommandations ou à minima faire le nécessaire pour qu’elles rétrogradent de manière significative dans la classification, ne tombe pas sous le coup de l’article 123-1 du code pénal ?
Est-ce qu’une ARS destinataire en même temps que l’établissement du compte-rendu de certification qui stipulerait des obligations d’améliorations graves pour la sécurité, ne tomberait pas sous le coup de l’article 123-1 du Code pénal si son directeur, tel que la loi l’y invite ne prononçait la fermeture immédiate ou temporaire des services ou établissements dysfonctionnant, ou ne saisissait suivant une procédure d’urgence la commission exécutive pour attribuer les ressources nécessaires à la mise aux normes ou au simple respect des obligations légales nécessaires à la sécurité des usagers ?
Précisons-le, le délai accordé aux établissements est beaucoup trop long dans certains cas, entre 6 et 24 mois, pour une obligation d’amélioration touchant directement à la sécurité du patient. Aussi posons-nous les questions sans détour :
- Y a-t-il un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ?
- A-t-on pris les mesures permettant d’éviter la mise en danger délibérée de la personne d’autrui ?
- A-t-on violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ?
La réponse est positive. « Le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement la mort d’autrui constitue un homicide involontaire[2] » puni de 3 ans d’emprisonnements et de 45000 euros d’amende.
En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à 5 ans d’emprisonnement et à 75000 euros d’amende.
S’il en résulte « une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois » la punition est de 2 ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à 3 ans d’emprisonnement et à 45000 euros d’amende.
S’il en résulte « une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois », est puni d’1 an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.
Il revient à l’accusation d’établir que les faits incriminés correspondent strictement à la définition légale. Pour ce qui est des blessures et de l’homicide involontaire, la définition légale est telle que toute faute, dès qu’elle a causé un préjudice, peut être pénalement sanctionnée.
Pour qu’il y’ait condamnation pénale, la faute n’est pas à elle seule suffisante. Il faut encore que cette faute soit à l’origine des blessures ou du décès. S’il était nécessaire que le lien de causalité soit certain, il n’était pas nécessaire qu’il soit direct ou exclusif. Or depuis la loi du 10 juillet 2000, le lien de causalité doit être direct.
On distingue traditionnellement deux théories, toutes inspirées par des juristes allemands :
- la première appelée la théorie de l’équivalence des conditions considère que toute faute ayant été l’une des conditions sine qua non de la réalisation du dommage, c’est à dire sans laquelle le dommage n’aurait pu se produire, a un lien de causalité avec ce dernier. Ainsi, tout ce qui a été une condition du dommage est de valeur équivalente. Cette théorie a été très critiquée car elle retient les causes les plus lointaines de l’événement. Il s’agit d’un lien de causalité indirect.
- La seconde appelée la théorie de la causalité adéquate, ne retient parmi les comportements fautifs en chaîne que celui dont on pouvait objectivement prévoir qu’il entraînerait le dommage. Elle élimine les fautes qui n’auraient eu qu’un rôle secondaire ou lointain. Cette théorie n’exclut pas que des fautes conjuguées puissent être retenues.
Toute faute qui a concouru, même de manière indirecte, à la réalisation du dommage est susceptible de recevoir une qualification pénale. C’est ici que la loi du 10 juillet 2000 a profondément modifié le régime de la responsabilité pénale. Comme cela a été indiqué lors des débats parlementaires, cette exigence d’une faute qualifiée résulte d’un constat logique et équitable : le caractère fautif et blâmable d’un comportement est lié à la plus ou moins grande prévisibilité de ses conséquences dommageables. En cas de causalité indirecte, il faut donc qu’existe une faute d’une particulière intensité pour que la responsabilité pénale de l’auteur du comportement originel puisse être engagée. Cette faute particulière consistera en une faute de mise en danger délibérée.
La caractérisation de la faute de mise en danger délibérée exigera l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, et la démonstration que la personne, qui connaissait cette obligation, a de façon manifestement délibérée choisi de ne pas la respecter. Néanmoins, si la faute n’a pas occasionné de préjudice, peut-être du fait de l’intervention diligente d’une tierce personne, il ne pourra pas y avoir de poursuite pénale relative à ces articles.
Enfin, Un établissement de soins ne peut pas être condamné sur ce fondement de non-assistance à personne en danger, l’article du code pénal ne visant pas les personnes morales.
«Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement[3] ». La gravité de certaines obligations d’améliorations, et le délai trop important octroyé pour y remédier est de nature à pouvoir invoquer l’article 223-6 en ce qui concerne les ARS si un accident dont la potentialité mise en avant par la HAS se produisait dans un établissement de santé.
Les cas où l’intention suffit pour engager la responsabilité pénale
Cette infraction est constituée même si elle n’a pas causé de préjudice. Il suffit d’avoir exposé une personne à un risque dangereux pour elle. Elle a été créée par le Code Pénal en 1994 et c’est la première fois que l’imprudence est punissable sans avoir produit un résultat dommageable. L’article 223.2 du code pénal prévoit que « les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement ».
Cet article est intéressant car il serait possible de poursuivre tous les établissements et les ARS au motif « de la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, au motif d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure ».
- N’est-on pas dans cette situation lorsqu’un établissement n’applique pas certaines règles de sécurités susceptibles de mettre en danger la vie de ses patients ?
N’est-ce pas le même contexte lorsque les ARS parfaitement informées par les comptes-rendus du collège de la HAS, des dysfonctionnements ne diligentent pas leurs services sur l’heure pour apporter des solutions, financer ces solutions ou fermer temporairement un service ou un établissement ?
[1] Dans le chapitre 1er des dispositions générales du code pénal, il est précisé dans l’article 121-3
[2] Titre II, chapitre 1 sur l’atteinte à la vie des personnes, section II atteintes involontaires à la vie, le Code pénal dans son article 221-6 le précise.
[3] Section III de l’entrave aux mesures d’assistance et de l’omission de porter secours, l’article 223-6 du code Pénal le précise.