Améliorer la qualité de vie au travail pour prévenir le burnout en EHPAD !

Les récentes crises successives des professionnels du secteur des EHPAD, notamment en 2018 ont traduit des conditions de travail fortement dégradées ayant fait échos auprès des politiques de santé par la révision de Loi de Financement de la Sécurité Sociale. Les ressources conviendront-elles ? Comment prévenir les risques professionnels du secteur en pleine réforme institutionnelle déjà fortement impacté en matière de santé au travail ? La maitrise des risques est-elle un vœu pieux ? Comment prévenir le burnout ou maîtriser le risque de burnout ?

Notons tout d’abord les conséquences d’un point de vue de la Santé Publique : « En France, le coût social du stress (dépenses de soins, celles liées à l’absentéisme, aux cessations d’activité et aux décès prématurés) a été estimé en 2007 entre 2 et 3 milliards d’euros (étude INRS et Arts et Métiers ParisTech) ».  Les conséquences pathologiques reconnues sont celles résultant des AT-MP ou de cessations d’activités dues aux conséquences de maladies cardiovasculaires (infarctus, maladies cérébro-vasculaires, hypertension…), des pathologies de la posture telles que les troubles musculo-squelettiques, les risques de chutes et des maladies psychiques telles que la dépression impactant le travail, la vie sociale et familiale jusqu’au risque suicidaire.

Il est donc important de distinguer les effets sur les dispositions des professionnels tels que l’engagement, l’implication, les motivations, la satisfaction, les valeurs, les conditions de travail impactant la réalisation du travail et les objectifs d’un point de vue tant individuel et qu’organisationnel.

Appelées communément les risques psychosociaux (RPS), la situation de crise individuelle apparait aujourd’hui sous le terme de « Burnout » autrement dit « épuisement professionnel », devenu un « risque prioritaire » pour la profession.

CARTOGRAPHIE DES RISQUES PROFESSIONNELS OU DOCUMENT UNIQUE D’ÉVALUATION DES RISQUES PROFESSIONNELS EN EHPAD

Interview de Thierry Houbron parue dans EHPAD MAG’ numéro 54 – mars/avril 2019 :

Nous avons souhaité appréhender les enjeux spécifiques de la Santé et de Sécurité au Travail (SST) en EHPAD lesquels font apparaitre des risque psychosociaux élevés pour les professionnels de santé mais aussi par incidence les usagers que sont les résidents et proche-aidants. Nous en appelons aux compétences de Thierry Houbron, consultant-associé expert en qualité, sécurité, évaluations et certification des établissements sanitaires et médicosociaux chez Adéquation Santé, intervenant confirmé depuis une vingtaine d’années afin de connaitre ses conseils et ses recommandations pour prévenir le « burnout » post accidente pour un secteur devenu extrêmement vulnérable.

EHPAD MAG’ : Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser aux risques professionnels, aux risques psychosociaux et plus particulièrement au burnout en EHPAD ?

Thierry Houbron (TH) : Tombé dans la qualité à la fin des 90’s et après un mastère Qualité Certification Normalisation Essais, j’ai mis mes compétences au service du secteur sanitaire émergeant à la qualité du fait de l’obligation de certification des établissements de santé. Accompagner la démarche qualité gestion des risques des établissement a été mon quotidien professionnel depuis 1998. Les obligations d’évaluation interne et externe ont conduit les établissements médicosociaux et donc les EHPAD, à faire appel à moi pour les accompagner afin de satisfaire leurs obligations en la matière. L’expérience ainsi acquis m’a permis d’être habilité à l’évaluation externe par l’ANESM.

Mes activités de formation et d’accompagnement au profit de la gestion des risques en général m’ont amené à appréhender de façon ciblée la maîtrise des risques professionnels. J’ai développé l’accompagnement des EHPAD dans leur démarche qualité et gestion des risques à la fois au profit des résidents comme des professionnels. Cette démarche ne peut être efficace et effective sans la maîtrise de la santé et de la sécurité des professionnels. Les concepts de bientraitance et de risque de maltraitance ne sont pas réservés aux usagers.

EHPAD MAG’ : Comment abordez-vous le sujet avec la Direction et les professionnels de l’EHPAD ?

TH : La perte d’autonomie des personnes âgées et l’évolution de la démographie soulèvent des questions d’anticipation sécuritaire en matière de santé pour les professionnels face à l’évolution certaine à la fois de l’accompagnement de l’usager et donc de l’offre de service en EHPAD.

Afin de conduire une démarche à la fois de maîtrise des risques et d’amélioration des conditions de travail voire même d’amélioration de la qualité de vie au travail, une stratégie est proposée aux établissements.

Mon activité consiste à former puis à accompagner l’établissement, sa direction et ces équipes, tout au long d’un projet structuré d’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT). L’effectivité et l’efficacité de ce projet permanent pourront être valorisé dans le cadre de l’évaluation interne puis, le moment venu, lors de l’évaluation externe.

Deux états des lieux inauguraux peuvent être conduits :

  • Bilan SST : Existe-t-il une organisation et une stratégie de maîtrise des risques professionnels ?
  • DUERP : Les risques professionnels sont-ils identifiés et de cette identification associée à une évaluation permettant de planifier l’amélioration des préventions ?

C’est ensuite et donc sur la base de ces deux bilans que peut se construire la politique d’amélioration de la QVT et se structurer le dispositif de maîtrise des risques professionnels incluant l’évaluation (approche prédictive) et la gestion à la fois des accidents du travail et des maladies professionnelles (approche rétrospective).

EHPAD MAG’ : Comment peut-on initier ce projet ?

TH : Sans un minimum d’organisation décidée et mise en place au niveau de la Direction, rien ne peut sortir de la simple volonté de bien faire. C’est la raison pour laquelle, le bilan inaugural cité ci-dessus conduit à mesurer les écarts entre la meilleure organisation possible et l’organisation  mise en place au sein de l’institution ou son absence. Une véritable « démarche d’amélioration continue de la qualité de vie au travail doit être déployée sur la base des recommandations du projet Santé et Sécurité au travail (SST) :

  • Une politique d’amélioration de la QVT, des conditions et de la sécurité au travail doit être formalisée, approuvée et mise en œuvre.
  • Une structure de pilotage sera déployée, laquelle sera initiatrice des premières actions inaugurales.
  • L’efficacité du dispositif ainsi déployé et des travaux en cours sera vérifiée par une évaluation annuelle, évaluation relayée en son temps par l’évaluation interne puis valorisé lors de l’évaluation externe.
  • Les écarts éventuels ainsi relevés seront traduits en préconisations, lesquelles serviront de corps au plan de prévention.
  • Le dispositif SST/QVT ainsi déployé aura recours aux processus de management de la qualité (pilotage, gestion documentaire, gestion et cartographie des risques) déjà opérationnels au sein de l’institution.

La mise en place du dispositif SST/QVT sera détaillée dans un prochain article à paraître.

EHPAD MAG’ : Le dispositif dont vous évoquez la mise en place ci-dessus ne fait pas seul évoluer la santé et la sécurité au travail.

TH : Une fois le dispositif de SST en place, il convient de l’activer de façon concrète et d’entrer dans le vif du sujet… et le vif du sujet, c’est de maîtriser les risques professionnels, c’est-à-dire les connaître avant d’y remédier.

L’actualisation du Document unique des risques professionnels est le point d’entrée de la maîtrise des risques. Il permet :

  • D’identifier les risques auxquels les personnels de l’établissement sont exposés et cela par métier.
  • En se posant les bonnes questions, évaluer ces risques en termes de Gravité « Et si cela arrive, est-ce que c’est grave ? » et de Probabilité « Et cela peut-il arriver ? » comme de Maîtrise « Oui mais nous on a prévu de faire quelque chose pour que cela n’arrive pas ! ».
  • En analysant ce qui est mis en œuvre et efficace comme ce qui n’est pas mis en œuvre.
  • Et pour ce qui n’est pas mis en œuvre ou inefficace, en formalisant des préconisations regroupées par priorité dans le plan de prévention.
  • La mise en œuvre progressive du plan de prévention et des préconisations (actions de prévention) qu’il contient, réduira l’occurrence des accidents du travail et la prévalence des maladies professionnelles.

La méthode d’actualisation du Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP) sera détaillée dans un prochain article à paraître.

Toutefois il convient d’éviter ici les deux écueils les plus souvent rencontrés :

  • L’extériorisation totale de l’élaboration ou de l’actualisation du Document unique sans la moindre implication des professionnels de l’établissement (sous-traitance).
  • L’automatisation de cette actualisation par le recours à une application qui prive l’établissement de l’implication des professionnels concernés.

Dans ces deux cas, la démarche est purement cosmétique et un DU conforme peut être présenté à toute requête… sans pour autant produire les effets attendus en matière de prévention.

EHPAD MAG’ : Nous avons bien compris que le dispositif que vous venez d’évoquer est de nature préventive. Que se passe-t-il en cas de burnout ? En quoi de dispositif SST/QVT peut-il prévenir le burnout ?

TH : Le DUERP a permis d’identifier le burnout comme un risque à caractère psychosocial, présent dans l’établissement et prévalent dans la structure.

  • Dans un premier temps, les facteurs contributifs et favorisant du risque vont être recherchés et pour chacun de ces facteurs, des mesures de maîtrise ou de prévention vont être recherchées, élaborées et ultérieurement mises en œuvre. C’est là la phase purement préventive ou de prévention primaire, pour que l’évènement redouté (risque) d’advienne pas.
  • Dans un second temps (ou de façon préalable, l’ordre importe peu), une autre approche sera mise en œuvre. Chacun des épisodes de burnout déclaré fera l’objet d’une étude approfondie de même nature que ci-dessus et sur chaque occurrence réelle de burnout, les facteurs favorisants ou contributif seront recherchés sous la forme d’une cartographie des causes. C’est la phase purement rétrospective pour que l’évènement redouté (risque résiduel) ne se reproduise plus, ne récidive plus, au moins pour les raisons effectivement identifiées.
  • De ces deux actions plus ou moins successives et/ou simultanées déboucheront sur la formulation de préconisations regroupées dans le plan de prévention (actions correctives).

La méthode spécifique de prévention du burnout (DUERP) sera détaillée dans un prochain article à paraître.

La méthode ainsi proposée pourra avantageusement être appliquée à tous les risques professionnels et parmi eux aux Risques Musculo Squelettiques (RMS) comme aux Risques Psycho Sociaux, catégorie à laquelle appartient le burnout.

EHPAD MAG’ : En résumé et à titre de synthèse, le résultat du déploiement du système et management de la SST et l’actualisation du DUERP débouchent tous deux sur un plan de prévention ?

TH : Le plan de prévention et sa mise en œuvre systématique sont le résultat attendu de l’évaluation des risques et de la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles. Toutefois, ce plan essentiel à l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail est en fait somme de quatre plans hiérarchisés :

  • Le plan d’actions correctives, soit les actions d’amélioration visant à supprimer ou à maîtriser concrètement le risque (exemple : rédaction de la procédure à suivre pour rester en sécurité),
  • Le plan de formation associé (exemple : recours aux Équipement individuels de Protection et sécurité au travail),
  • Le plan d’évaluation associé, pour vérifier « à froid » que les consignes de sécurité sont effectivement connues… et accessoirement mises en œuvre (exemple : évaluation de la connaissance et du respect des consignes de sécurité, analyse des causes d’un AT).
  • Enfin, et c’est là, le dispositif de prévention le plus efficace si tout le reste a été fait, le plan de communication qui permet de porter à la connaissance de tous les professionnels, le top 3 des accident advenus l’année passée et les précautions mises en œuvre pour les éviter.

La méthode de planification et de suivi de la mise en œuvre de ces plans, seule garant de l’efficacité et de l’effectivité de tout le dispositif sera détaillée dans un prochain article à paraître.

EHPAD MAG’ : À titre de synthèse, quelles sont vos cinq préconisations pour déployer un système de maîtrise des risques de d’amélioration de la santé et de la qualité de vie au travail ?

TH : De façon synthétique et concise :

  1. Organiser la formation systématique des professionnels à la maîtrise des risques professionnels, non pour en faire des pros du sujet mais pour les éclairer de façon suffisante au sujet et en faire des acteurs de leur propre sécurité et leur qualité de vie au travail. Objectif : culture partagée par tous du risque et de sa maîtrise.
  2. Mettre en place puis mettre en œuvre le dispositif de SST/QVT ou quelle que soit son appellation, soit un système d’écoute des risques et d’expression d’un plan de prévention : Objectif : organisation collaborative, effective, efficace et apprenante.
  3. Actualiser le document unique et analyser les AT et maladies professionnelles pour en détecter les causes et en tirer les préconisations nécessaires. Objectifs : partage de la connaissance des risques pour en assurer la maîtrise.
  4. Réunir les propositions d’actions correctives de formation, d’évaluation et de communication dans un plan de prévention unique, le mettre en œuvre et assurer la surveillance de cette mise en œuvre… Objectifs : planification effective et suivie.
  5. Et recommencer de façon continue ! Objectifs : quelles que soient les circonstances, ne jamais arrêter.

Remerciement à Mme Claire Jamroz pour sa contribution à la recherche documentaire.

Interview parue dans EHPAD MAG’ numéro 54 – mars/avril 2019.

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